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Justice pénale des mineurs et protection de l’enfance 2017-2020

Le suivi des jeunes délinquants dans la communauté : expériences de la contrainte et co-construction du travail d’accompagnement – Regards croisés France Québec

Résumé

Ce projet part du constat selon lequel les intervenants, aux prises avec des jeunes qu’ils sollicitent et qui les sollicitent quotidiennement, doivent mobiliser une série de « compétences relationnelles » (Milburn, 2002), supposant un engagement personnel et émotionnel qui conduit à une constante interrogation sur les recettes de la « bonne distance » (Boujut, 2005). Les intervenants peuvent aussi mobiliser la contrainte – notamment la contrainte pénale – pour couper court à l’interaction, en préconisant l’enfermement d’un jeune dont ils estiment qu’il doit « faire face » à ses responsabilités (Sallée, 2016). Le suivi éducatif est donc toujours le produit d’une co-construction au cours duquel les contours de l’interaction entre les intervenants et les jeunes sont (re)négociés, (re)définis, (ré)ajustés. Le présent projet vise à approfondir l’analyse de ces processus de co-construction en élaborant une sociologie des expériences juvéniles de la pénalité, très peu réalisée à ce jour.

Ces expériences sont saisies selon trois axes :

  • L’expérience biographique, pour interroger la place occupée par le suivi éducatif dans le récit que les jeunes font de leurs parcours. Le contact avec les institutions pénales étant inégalement distribué selon la classe sociale, le genre et l’origine ethno-raciale (Vuattoux, 2016), les séquences pénales éprouvées peuvent s’inscrire en rupture ou en continuité des parcours antérieurs.
  • L’expérience sensible, pour interroger les sentiments engagés par les jeunes dans le suivi éducatif. Si la police et les acteurs répressifs produisent souvent des sentiments de défiance et de crainte (Goffman, 2014), les acteurs éducatifs sont investis de sentiments plus complexes, conformément aux caractéristiques d’une mission située entre accompagnement et surveillance, aide et contrainte.
  • L’expérience critique, enfin, pour interroger ce que les jeunes apprennent de leur suivi éducatif. Au gré des interactions qui émaillent leur prise en charge, les jeunes construisent un savoir informel et développent une diversité d’apprentissages (Jaspart, 2015) qui, en retour, recomposent l’ordre éducatif.

Financement

Consulat Général de France à Québec / Programme Samuel de Champlain (Fonds de la recherche du Québec Nature et Technologies)

Méthodologie

Pour saisir ces expériences, nous nous entretiendrons avec 30 jeunes en France et 30 jeunes au Québec (2/3 en milieu urbain et 1/3 en milieu rural), dont au moins 5 jeunes filles dans chacun des pays. Nous profiterons des séances «d’activités de jour» (France) ou des «ateliers cliniques» (Québec), au cours desquels plusieurs jeunes sont réunis autour d’un apprentissage spécifique, pour présenter notre démarche et distribuer des lettres de sollicitation visant à obtenir le consentement des jeunes et de leurs parents. L’objectif est de rencontrer les jeunes à deux reprises. Nous réaliserons d’abord une entrevue semidirigée (environ 1h30) centrée sur la trajectoire du/de la jeune et ses différentes «lignes biographiques» (Ogien, 1999) : familiale, scolaire, amicale, délictuelle et sociojudiciaire. Nous proposerons au/à la jeune de le/la revoir une seconde fois, un mois plus tard, pour une entrevue non-dirigée ouverte par une question très générale : peux-tu nous raconter ce qui s’est passé pour toi depuis la dernière fois que l’on s’est vu ? Cette méthode, inédite, permettra au/à la jeune de situer son suivi éducatif, ses rythmes et ses apprentissages, dans une configuration sociale (Lahire, 1995) qui dépasse le cadre de la mesure.

Implication des milieux de pratique. Les terrains urbains seront Lyon et Montréal, et les terrains ruraux se situeront dans la région Rhône-Alpes (France) et celle de Lanaudière (Québec). Le choix des terrains principaux (urbains) est motivé par la qualité des collaborations entretenues par les membres de l’équipe de recherche avec la Direction de la Protection judiciaire de la jeunesse – Rhône-Ain-métropole de Lyon (DTPJJ), côté français, et le Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire (CJM-IU), côté québécois. Le projet de recherche financé par la Mission de recherche droit et justice implique d’ailleurs les mêmes acteurs institutionnels, qui nous ont déjà assuré de leur soutien. La qualité de ces relations, ainsi que l’implication des membres de l’équipe dans des organismes de formation tournés vers les métiers d’intervention sociale facilitera le transfert des connaissances au travers diverses activités de restitution (séminaires, écoles d’été, colloques, etc.).

Equipe de recherche

Responsables scientifiques

Equipe Française

Equipe Québécoise

  • Nicolas Sallée – Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations (CREMIS) / Université de Montréal (UdM)
  • Martin Goyette – ENAP / CREVAJ
  • Marie Dumollard – ENAP, CREMAJ (doctorante)
  • Jade Bourdages – UQAM / CREMIS