Code de la Justice pénale des mineurs : Les nouvelles temporalités juridiques et professionnelles
Résumé
Dans le champ scientifique, la « réorganisation du temps procédural » (Gallardo, 2022) et plus généralement les différentes temporalités du CJPM, sont au cœur des questionnements juridiques, aussi bien que sociologiques. Notre projet propose de s’intéresser plus particulièrement à la production des temporalités, entendues comme construction sociale (Dubar, 2004), par les principaux acteurs de la Protection judiciaire de la jeunesse. Pour les juristes, même si le terme exact de « temporalité » ne figure pas dans les textes, y compris dans le CJPM, il n’en demeure pas moins que la réorganisation du temps procédural a été une des préoccupations de la réforme du droit pénal des mineurs (Vergès, 2020). Il s’agit même d’un des objectifs explicitement annoncés par le gouvernement dans le rapport fait au Président de la République et joint, au Journal officiel, à l’ordonnance du 11 septembre 2019. Si le nouveau Code entend rendre la justice pénale des mineurs plus rapide, il offre surtout les outils permettant d’adapter le temps procédural à la personnalité et aux perspectives d’évolution du mineur. En somme, il souhaite ajuster le temps procédural au temps éducatif. La question du temps dans la justice pénale des mineurs n’est pas nouvelle. Déjà, l’ordonnance du 2 février 1945 se distinguait par l’enquête officieuse, (article 8, ord. 45), procédure dérogatoire au code de procédure pénale, qui devait permettre aux acteurs de la justice pénale d’évaluer consciencieusement la situation familiale, scolaire et sociale du mineur et de lui laisser le temps d’évoluer au cours de la procédure, conformément au principe, constitutionnellement garanti de primat de l’éducatif sur le répressif. Plus tard, cette longueur de la procédure a été décriée et critiquée comme étant le symbole d’une justice « laxiste ». Dès la fin des années 1990, le législateur, transposant aux mineurs les nouvelles directions prises par le droit pénal des majeurs, n’a eu de cesse d’accélérer le temps procédural du mineur. Des procédures comme la présentation immédiate (art. 14-2, ord. 45), la comparution du mineur par convocation (art.8-3, ord. 45) ou la comparution à délai rapproché (art. 8-2, ord. 45) sont autant d’exemples d’une accélération du procès pénal du mineur. Ce dernier pouvait être jugé, selon les cas, dans un délai compris entre 10 jours et 2 mois ou 10 jours à 1 mois, voire dans un délai inférieur à 10 jours en cas d’accord exprès du mineur et de son avocat. Le CJPM entend donc remédier à ces difficultés par une réorganisation du procès pénal du mineur (Gallardo, 2022) soucieuse d’articuler temporalité judiciaire et éducative.
AAP Institut des Études et de la Recherche sur le Droit et la Justice (Nadia Beddiar, Eudoxie Gallardo, Cédric Verbeck)
Pour les sociologues, l’étude des temporalités a été récemment renouvelée par différents travaux programmatiques en France (revue Temporalités ; Grossin, 1996) et plus particulièrement dans le domaine de la justice pénale des mineurs (Bessin, 2006), (Jamet, 2016) ou encore du rapport entre les temporalités et le genre dans des univers professionnels fortement féminisés (Bessin & Gaudart, 2009). Un axe d’interrogation consiste à évaluer les logiques de synchronisation attachées aux temporalités : « le temps est l’ensemble des pratiques collectives consistant à mettre en relation des processus à des fins de synchronisation. Autrement dit, le
temps peut sociologiquement être défini comme pratiques de synchronisation » (Gardella, 2018). Cette manière dont la sociologie traite des temporalités nous donne une trame d’analyse pour dépasser et déplier des expressions généralistes invoquant le « temps judiciaire », le « temps des éducatrices » ou le « temps des jeunes ». En mobilisant les différents registres d’analyse des temporalités (Flaherty, 2011 ; Zerubavel, 1985), nous pourrons porter une attention particulière à la durée des mesures judiciaires comme cadre de référence, aux tempos c’est-à-dire la vitesse et les cadences auxquelles sont soumis les acteurs décrivant des situations professionnelles où l’impression d’accélération se fait sentir (Rosa & Chaumont, 2015) ou encore aux rythmes, c’est-à-dire l’enchaînement des séquences d’actions plus ou moins intenses des différentes tâches que les professionnels ont à réaliser.
Compte tenu de ces éléments tant d’ordre juridique que sociologique, ce projet de recherche
sera l’occasion de documenter comment les acteurs de la justice pénale des mineurs tentent
désormais de synchroniser leurs actions.
1[1] Nous utilisons le féminin en respectant la règle d’accord de majorité pour rendre compte
de la forte féminisation des métiers étudiés.